Vous en souvenez-vous
De nos étés d’avant
En nos vertes jeunesses
De vrais bruits de village
Les rues moitié-moitié
Ombre fraîche soleil brûlant.
Le marteau sur l’enclume
Sur un rythme transmis
Par les mains du savoir
Un geste aussi parfait
Qu’un galet d’Atlantique
Poli par le ressac
Et le soufflet qui gronde
Sonores étincelles
La porte rouge de l’enfer
Qui nous faisait presser le pas.
Le camion charcutier à l’heure de la faim
Et soudain une voix, une voix attendue,
« Peaux d’lapin, Peaux… »
Dont l’écho va se perdre
Pendant que l’homme rêve
A des Vénus à poil.
Le carillon qui tinte
A la boulangerie
Les filles du boulanger
Qui vous font bafouiller.
Le cheval qui s’ébroue
Qui piaffe et qui hennit
De l’impatience des seigneurs.
Le vieux chien qui aboie
Beaucoup par habitude
Et le chiot qui répond
Pour faire comme les grands.
La cloche qui revit
Toutes les demi-heures
Qui vit de l’air du temps
Dans son clocher pointu.
Et non loin de l’église
Les cris des écoliers
L’heure républicaine
Rythmée par les récrés.
Chants contre-chants d’oiseaux
Le bruissement de soie
De vives hirondelles
Une musique douce
Sur la portée du ciel
Touches noires touches blanches
Sur fond de bleu azur.
Et le coq qui se trompe
Saluant la méridienne
Croyant annoncer l’aube.
Les petits cris aigus
De surprise et de crainte
Au souffle de velours
Des grises pipistrelles
Les buveuses de nuit
Assidues aux festins.
Vous en souvenez-vous ?
Les tilleuls à l’odeur
De fin d’année sucrée.
Les instants suspendus
Des quatorze juillet
La place bleue blanc rouge
Le monument aux morts
Et le garde champêtre
Uniforme et képi
Canonnier tambourinaire
Le canon sonne la charge
Le tambour bat le rappel
Et tente de sauver sa peau.
Jour de comptoir et jour de gloire
En attendant le défilé
Des lampions tremblotants
Le vent qui fait filer
Nos heures de courses folles
Tout le long des talus
Dans le vacarme des couleurs
Et le silence des papillons.
Du rouge Mac-Cormick
Qui concasse le silence
Et crache son dédain
Vous en souvenez-vous ?
De ces jours de moissons
Le bruit de la batteuse
Le claquement du cuir
Quand les courroies se frôlent
La balle qui s’envole
Sur l’aire de battage
Et qui nimbe la scène
D’une brume de sueur
D’une poussière de soif
Où le soleil se perd.
Dans les étés d’avant
Bruissent les heures blondes
Jusqu’au soir qui s’étend
Doucement sans froisser
L’élégance des feuilles
Le moment du bonheur
De la bonne fatigue
La joie d’imaginer
Des lendemains pareils.
Même parfum de pommes
Dans nos vergers royaumes
Nos guerres pour de faux
Avec des morts de rire
Nos voyages secrets
Sur nos vélos rouillés
La fraicheur verte du ruisseau
Le bateau bricolé
Chaque coup de pagaie
Est une vraie victoire.
La transparence des libellules
La frêle course folle
Des patineuses d’eau
La torpeur des vipères
Entre l’arbre et l’écorce
Le bonheur éclabousse
Et la joie ébouriffe.
Dans les étés d’avant
La fête est une fête
Carnavals chars fleuris
Les auto-tamponneuses
Entre crainte et désir
La pluie des confettis
Les joues rouges des filles
Qui disent toujours non
Mais qui en redemandent
Peur et plaisir mêlés
Souvenirs et regrets
Quand la fête est finie.
Peut-être l’an prochain ?
L’été d’avant s’achève
La ruée sur les chemins
Qui tous vous précipitent
Vers des lieux où les heures
Nous glissent entre les doigts
Où les filles sont douces
Sûr, à l’année prochaine
Et on en rêve encore
Lorsque nos yeux se ferment
Et s’il y avait un cirque
Près des grands marronniers ?
Un décor rouge et blanc
Et dans nos têtes
Tout recommence
Les bourdons les abeilles
Vibrionnent en chœur
Le vent léger sent le tilleul
Des bruits anciens revivent…
Mais le rêve sursaute
Quand l’Auguste surgit
« Bonjour les enfants !!!... »