Sommes cinq compagnons
De joies et de tristesses
Dans une fin de nuit
Qui plante le décor
On se retrouve au quai
On se serre la main
La tête dans les épaules
La brume s’effiloche
Et
le soleil hésite
On a plein à se dire
Mais en fait on se tait
Les autres pensent pareil
Alors on marche
un peu
Et on tape des pieds
Le quai aux lueurs mates
Les bruits sont tout humides
Les anneaux sont rouillés
Notre vie aussi rouille
On quitte notre amante
On bise les enfants
Sans trop les réveiller
On est là sur le bord
Les moteurs qui ronronnent
La brume s’effiloche
Et nous n’avons pas froid
C’est
l’aube qui frissonne
Bugaled Breizh
Pemp martolod
Avel ebet Mor glaz
Deiz du
On revit hier soir
On en parle très peu
Les claques dans
le dos
Ne réconfortent pas
Le bateau tangue un peu
On n’ose pas le dire
Mais la joie du métier
Est mêlée de cafard
La mer est sans lumière
Elle a de la patience
Elle a le temps d’attendre
Et c’est comme toujours
Le vent a l’âcre goût
D’un vieux pressentiment
On refait tous les
gestes
Qui assurent la pêche
On voit le treuil graissé
Les filets bien rangés
Peut-être pleins
bientôt
Rentrer les cales pleines
Il faut bien de l’espoir
La brume s’effiloche
Bugaled Breizh
Pemp martolod
Avel ebet Mor glaz
Deiz du
Maintenant qu’ils ne sont
Rien qu’ombres sous la mer
Nous sommes survivants
Souvenons-nous du jour
Où Monsieur Président
Avec ses gros sabots
Est venu pour calmer
La révolte qui monte
A
semé la colère
Avec des mots gravés
A jamais sur les quais
De tous les ports du monde
Un mépris
assumé
Entre guillemets je cite
« Descends si t’es un homme »
Entre guillemets je vois
Les
gorilles costumés
Qui gardent le petit
Il n’avait pas compris
Qu’un marin est un homme
Et parfois
une femme
Et que lorsqu’ils descendent
C’est pour aller mourir
Au fond de la mer froide
Le Président
s’en moque
Mais il fait des discours
Qui suivent les méandres
Des grands mots inutiles
Des insultes faciles
Bugaled Breizh
Pemp martolod
Avel ebet Mor glaz
Deiz
du
Oubliez-le ignorez-le
Laissez le ricaner
En remuant les épaules
Debout devant l’écran
Où s’agitent les ombres
Masquant les vrais coupables
Ils ont cadenassé
La vérité des morts
Mais la mer ne ment pas
Toutes vagues debout
Sur leurs piteux mensonges
Le
destin a frappé
Les radars sont aveugles
Et les sonars sont sourds
Ils étaient des marins
Vivant au jour
le jour
Loin des messieurs de guerre
Décidés à mentir
Qu’importe le pays
C’est la raison
d’Etat
Qui a toujours raison
Et jamais rien à dire
Elle ne rime à rien
Surtout pas à justice
Il y avait pourtant
Des monstres sous la mer
Couleur de nuit couleur de deuil
Une mort qui se cache
Et qui garde silence
Bugaled Breizh
Pemp martolod
Avel ebet Mor glaz
Deiz du
On s’est sentis piégés
Happés par l’inconnu
Enveloppés de glace
Espérant remonter
Ne pas ouvrir la bouche
On pourra respirer
Et puis on ne
peut plus
On n’est que des marins
Noyés dans le silence
On n’entend plus les cris
Du fond des eaux
profondes
On se sent envahis
On sent qu’on est vaincus
Alors on cherche l’air
Et rien que d’y penser
on a déjà perdu
La conscience s’éteint
Plus d’enfants plus de femmes
On n’a même pas le temps
D’appréhender la mort
Une trop longue attente
Et la vie qui défile
Etions cinq compagnons
Plus
de joies des dimanches
Tous frères autour des tables
Matins d’après bonheur
Quand le soleil hésite
Quand le brouillard s’entête
L’âcre goût des embruns
Les pâles réverbères
On se retrouve au
port
Dans une fin de nuit
Qui plante le décor
La brume s’effiloche
Et nous n’avons pas froid
C’est l’aube qui frissonne
Bugaled Breizh
Pemp martolod
Avel
ebet Mor glas
Deiz du
Silence décrété
Sentence de mort double
Et nous les survivants
Survivants du silence
Gens de cœur de partage
Gens de parole et de combat
Fils
et filles de Bretagne
Plus têtus que la mort
Continuons à nous battre
Marins vivants
Tant qu’ils
cognent aux mémoires
Ils vivent des souviens-toi
Ils frappent à nos ports
Gardons-leur compagnie
Pour
faire échouer l’oubli
Il y a maintenant des années que nos camarades
Pascal Le Floch
Georges Le Métayer
Eric Guillamet
Patrick
Gloaguen
Yves Gloaguen
otages du secret, ne sont plus.
Nous ne les oublions pas
Dalc'homp soñj !