Bro greunvaen (Pays de granite)
Regardez-les ces pierres sans voix et sans paroles
Enceintes de mémoire surgies d’anciens labours
Sursauts du temps passé éclosions de l’histoire
L’humus des siècles intact dans les failles fertiles
De rochers anonymes matière sans partage
Dans
les matrices muettes enfantant le futur
Des arbres pour bâtir des abris de survie
Quel bruit dans notre histoire et quelle éternité
Quelles gloires échappées
vers les confins du monde
Quels longs galops de nuit et de sang de mort rouge
Ils sont alignements ils enserrent la terre
En cercles de soleil en trois cercles magiques
Regardez-les
ces pierres hautes pierres des rives
Peulvande pleine terre et taol-vaen de plein champ
Pierres baignées de mer espérant les marées
A l’image des
hommes et pierres de prières
Elles deviennent symboles croix et cercles mêlés
Gardiennes des fontaines qui accueillent sans cesse
Une foi vacillante d’otages du malheur
Qui vont sur les chemins égrenant leur détresse
Femmes en mal d’enfant étreignant l’espérance
Offrant leurs ventres nus au miracle improbable
Femmes
vivant au rythme de l’éternelle horloge
Un roc un homme une femme un enfant
L’éternité commence il naît des femmes-fleurs
Des enfants de soleil aux mains
couleur de sable
Ils descendent en rythme la chaîne hachée du temps
Au fur et à mesure que les étés s’entêtent
Sur ces rocs qui ne sont ni morts
ni figurants
La vie fait le décor le décor s’en habille
Ils conversent ensemble et tricotent leurs mailles
Ces rocs que le mensonge et la croix dénaturent
Ils
ont vus les soirs d’ombre s’éteindre un à un
Crépuscule des dieux renaissance des hommes
Acteurs ils ne le peuvent mais témoins ils le sont
Ils ont tout
vu passer
Les hommes et les loups l’arrivée des tribus
Enfants marchant dans l’ombre sur l’oblique du vent
Les clairières bâties sur l’envers des
tempêtes
Le murmure de l’eau l’odeur de la fumée
Et les sages blanchis pressentant l’avenir
Les lumières des braises et le sang des batailles
La
nuit chassant le jour chaque aurore est conquête
Ils ont tout vu passer souvenirs à venir
Les guerriers délaissant leurs javelots d’errance
Les femmes survivantes guettant
les jours à suivre
Femmes lune pleurant sur la frange du ciel
Ils ont tout vu passer
Senti frémir en eux la peur des jouvencelles
Que l’ombre d’acier
mat décidait de forcer
Vu passer les chariots les ballots de la faim
Aperçu les brancards emportant la mort noire
Vu pendre des manants victimes de leurs rêves
Entendu
les hoquets se fondant dans la brume
Des hommes sont venus et d’autres sont partis
Enfants de la patrie réduits au papier bleu
Des familles en deuil aux costumes de nuit
Des femmes réveillant les pavés endormis
Le bruit de leurs sabots étouffant leurs sanglots
Ils ont vu défiler la mort aux lourdes bottes
Se lever l’aube
sale quand elle se fait destin
Ils ont senti le chaud des hommes condamnés
Et puis le temps s’écoule les rochers sont repères
Condamnés au silence des chemins
de traverse
Et vous gens qui marchez en espoir d’horizon
Arrêtez vous près d’eux ils savent des histoires
Si vous les écoutez vous deviendrez leur voix
Et vous repartirez plus riches que jamais
De leurs vieilles blessures naissent des bouquets d’or
La chair et le granite retissent notre histoire
Partout le vent se lève
La révolte fait fi de la géographie
Elle s’entend à tracer des cartes éphémères
Plogoff quitte la côte et occupe les Landes
Il
vient offrir ses pierres et leur poids de colère
Les Landes ses grands arbres qui se font citadelles
Villages assiégés villages victorieux
Arbres et pierres complices terrassant
l’injustice
Hommes et femmes ont vaincu
Ont vaincu les tempêtes et défendu leur terre
A l’angle droit du ciel et au droit fil de l’eau
Le
peuple des peulvan ne sait pas se courber.
Peulvan : menhir
Taol-vaen : dolmen