Aux femmes bigoudènes et aux soldats bigoudens

 

Oublier, vouloir vivre à se couper les doigts

Oublier tous les mots qui roulent dans la fange

Et qu’il y eut des jours où la terre était ferme

Où la terre changeait ses draps gorgés de sève

Basculant dans nos têtes, déshabillant sa mousse.

Si tu savais ma douce combien je pense à toi

Combien je pense à nous, j’ai des doigts de mémoire,

Dormir enfin sans peur, vivre dans des jours propres

Comme ceux que nous vivions quand tu me souriais

Ma douce si tu savais, j’aimerais te voir vivre

C’est très lointain, naïf comme des rêves d’enfant.

  

Ici il n’y a rien derrière le couchant

Que cassures de roc et terres éventrées,

Ici on n’entend pas le rythme de la mer,

Le bruit des longues vagues sur les plages désertes,

Ici c’est terrifiant, des bruits de fin de monde

On a beau s’appliquer à rechercher les arbres

Miracles ou mirages nos yeux ne savent pas

On a beau sans merci traquer les idées folles

On ne fait simplement que survivre un peu plus

Dans des tranchées infectes où le temps vampirise

Il ne saurait durer sans ration de sang frais,

Sans mort et sans charogne, sans morceaux de vivants.

Fous nous sommes de dégoûts qui trainent leurs brouillards

Au cœur d’un vieux tabac tout brulant de désirs

Personne ne peut vivre de ses propres nausées

Ni de rêves repris en millions d’exemplaires,

Et toujours cette peur qui échappe à l’humain

Et toujours cette peur qui me parle de toi

Et toujours cette peur qui me fait t’aimer mieux

Mes mains cherchent ta peau si douce à en pleurer

J’entends ton rire clair qui toujours me rassure

J’entends le chien répondre et venir sur le seuil.

  

J’ai vu une génisse qui ressemblait à Drev

Eventrée, pattes en l’air, la gueule grand’ouverte

Comme pour demander pourquoi le ciel l’écrase

Ici les chevaux même ont l’odeur de la mort,

Une odeur de malheur la même que les hommes

Ici les chevaux même ont le regard des hommes

Et leurs yeux qui les cherchent attendant la mort rouge

Des yeux qui ne croient pas, un regard éperdu,

A part le cheval blanc qu’ils ont sorti des mines

Baptiser qu’on a fait, il s’appelle Ar mach’h dall.

Je me suis souvenu quand j’étais avec Flamm

Tous deux au bout du champ qu’il nous fallait charruer

C’est lui qui percevait le cri muet de l’aurore

Je n’avais rien à dire il partait de lui-même

Et traçait le sillon jusqu’au bois de Kerlann

Et à la fin du jour tu savourais l’attente,

Nous ignorions alors que c’était le bonheur.

 

Douze que nous étions quand nous sommes partis

Vers la gare de Pon’ad en nous coudant les côtes

Douze vers l’inconnu, qui savaient encore rire

Douze de Loctudy, de Combrit, de Penmarc’h,

De Plovan, de Penhors et de Saint Guénolé.

Nous n’avons pas perçu l’avant-goût de la mort

Toi tu savais ma douce et toutes vous saviez

Quand vous avez voulu empêcher le départ

Des hommes dont vous doutiez qu’ils reviennent un jour

Couchées que vous étiez sur les rails du destin.

Huit sont déjà manquants, découpés, émiettés,

Enfouis dans un trou d’eau, morts-vivants sous la boue.

Ils ont ramené Fanch de la cote 105

Aveuglé par les gaz, les intestins dehors

Il a tenu la nuit en hurlant comme un chien,

Les yeux tellement secs qu’il n’a pas pu pleurer

Les corbeaux sont passés, rauques au début du jour

Ils s’en allaient plus loin vers leur repas immonde,

Fanch s’est redressé sans voir et sans entendre

Il n’a crié qu’un mot, il a appelé Mamm,

Il reste quelque part dans ce pays maudit

Enterré à la hâte dans un repli de glaise

Comme les milliers de morts hachés par l’invisible.

 

Je pense à toi ma douce et je te reconstruis

Chaque pouce de chair, chaque carré de peau,

Et surtout quand le soir tu enlèves ta coiffe

Alors tes longs cheveux se réveillent et revivent.

Ce soir le général nous a rendu visite

Il nous a salué, nous étions tous des braves,

Et il nous a annoncé qu’on remontait demain.

Il a dit que beaucoup allaient mourir sans doute

Mais c’était pour la France, il fallait être fier,

Et il a  annoncé double ration de gnole,

J’en ai vu bien plus d’un qui serraient leur fusil

Avec des yeux de fous et des regards de haine

Surtout quand je dirai, ma douce, ce qu’est la France

Quelques mètres carrés en haut d’une colline,

Des nids de mitrailleuses, des centaines de fusils

Et nous petites fourmis, trébuchant et tombant

Pour un gros tas de boue qu’il appelle Patrie

Pour ce gros général qui va te faire veuve,

Mourir c’est comme mourir pour la France ou pour rien.

  

Je vois venir un temps que je ne verrai pas

Je pense à toi ma douce, à rien ne servira

D’honorer les héros que nous ne sommes pas,

De suspendre aux fenêtres des oripeaux funèbres

Broder des initiales de la mort au passé.

Nous sommes morts sans voir, nous sommes morts sans voix,

Laissez les drapeaux flasques au vestiaire des larmes

Hypocrites mouvances masquant tous les mensonges,

Les inutiles fleurs, les discours dérisoires

Vains mots à marcher courbe autour des monuments.

Pleurez les morts pour rien, gardez les dans le cœur,

Ne les honorez pas sur la place publique

Ils sont seuls dans leur glaise et ne demandent rien.

Je pense à toi ma douce et je te reconstruis

Je suis encore vivant, j’ai des doigts de mémoire

J’entends ton rire clair qui toujours me rassure…

 

Commentaires

29.04 | 19:58

https://www.youtube.com/watch?v=VE5svVTDuMU

15.05 | 10:49

Merci pour cet hommage à nos disparus . Le bigouden est têtu et l'injustice le révolte.C'est pourquoi nous continuons notre combat pour la vérité.