De braise et d’étoupe
De glaise et de pierre
De tendresse et d’acier
D’amour et de sarcasme
De caresse et colère
Un homme tout de noir vêtu.
L’espoir se change en mots
Qui deviennent torrents
Une salve de notes
Une robe écarlate, la liberté tournoie
Lorsque le flamenco s’épanouit en corolle
Tout cela ne tue pas mais fait de la chaleur
Dans le froid de l’obscur.
Un cri invisible.
C’est pour cela qu’il chante, l’homme vêtu de noir, sur un accordéon qui égrène la gamme de souffrances latentes et de joies éphémères,
des notes funambules sur le fil de la nuit. A chacun de choisir le côté de la chute.
Limonaire au carrefour, détresse mécanique qui attend l’heure pourpre du signal d’évasion, l’homme en noir a croisé
ses frères de la nuit, un homme cœur cristal un anar de plein vent, chemineau des révoltes routard des rébellions un brigand des grands feux un attiseur de flammes, le maître du refus, des tendresses vachardes.
Il les
a reconnus ces amants désheurés, ces Pierrots inversés à la peau d’obsidienne, ces dames de vertu aux cœurs désaccordés, ces chiens de l’assistance que l’amour a trahi, ces copains d’indigence
prêts à prêter le vent s’ils avaient seulement pu s’en mettre plein les poches.
Il les a tous posés sur des portées magiques, des portées toile émeri qui râpent le vernis des bourgeoises
vertus jusqu’à la vérité aussi nue que les vers, dans un monde qui meurt un manège de riches, d’élus aux petits pieds qui pimentent leurs phrases de graines de pavot pour endormir les peuples.
Sur l’établi
de l’ordre se forgeaient les entraves, l’ordre établi se meurt en agonie de poulpes de douleur en douleur la délivrance germe comme un rêve d’étoile dans le soleil levant et surgissent soudain des îlots de
lumière et jaillissent soudain les hourras des tempêtes.
C’est tout cela qu’il chante l’homme de noir vêtu
La haine de ce monde d’indifférence imbue
De stipendiés sicaires
de bourreaux impunis
Il aurait bien donné quelques salauds de plume
Pour une Pépée de poil aux grands yeux étonnés
Lui qui a toujours su prendre la voix du diable
Pour traquer l’homme en
blanc trônant sur le malheur
Devant les mécréants qui plantaient leur drapeau
Sur le mât de misère pas de dieu pas de maître
Les flammes de l’enfer sont douces aux libertaires.
Il est toujours sur scène sous ce halo de givre avec ses yeux fêlures et sa voix à échardes qui transperce et lacère la béate bêtise, voix de roc, de silex et de sables mouvants, la voix de haute mer et de
douceur soudaine, une voix qui libère les quadriges d’écume et qui garde en mémoire ce que la mer efface. C’est une voix d’acier en habit de velours Une voix tourterelle à caresser l’amour à parsemer
de mots le corps de femmes fleurs, une voix de velours en costume d’acier. Elle se fait grenaille qui gronde et crible à vue les pantins dyslexiques qui jouent aux vrais-semblants quand les échos du monde jettent leurs déchets d’aube.
Ses yeux intermittents aux sourcils métronomes
Le geste qui désigne l’orbite des révoltes
Qui dénonce les mages de la grande illusion
Les fachos chamarrés les dictateurs galonnés
Les généraux fantoches les porteurs de breloques
Voyez le sang qui coule sous leurs bottes vernies
Jamais ils ne seront fantômes de l’histoire
Ils resteront assis sur le banc d’infamie
S’ils
écoutaient leurs ombres ils sauraient qu’elles ricanent
Il le sait le chanteur
Il trouve des mots de rage pour coudre les blessures
Pour les hommes qui souffrent
Pour les pays qui pleurent
Pour
vendre de l’humain aux femmes déchirées
Pour vendre de l’humain aux hommes disloqués
Au long de jours de sang et de nuits de salpêtre
Pour un homme qui tombe garrotté fusillé
Un
homme qui sourit face à ses assassins
Et qui fait des bourreaux les vaincus de l’histoire
Quand les matins trébuchent sur la mort des poètes.
Nous t’avons écouté par des matins
brouillards aux relents de Gauloises, marché sur tes chemins cœur à cœur côte à côte contents de ne pas suivre les voix à marcher droit.
Un temps où l’on partait sur des souffles de mots,
la vie en pointillés de chanson en chanson, la poésie rôdait comme une chienne heureuse en suivant ses sillons dans les nuits de vinyle avec son fil à plomb à nous coudre les rêves.
Le temps de l’horizon
et notre certitude que nous allions l’atteindre, le temps des choix faciles, d’aveuglante évidence, de l’ami de Madrid aux guitares chiliennes, des îles émeraude où la soif était blanche, d’un Vietnam
de tunnels et de la mort orange.
Le temps où les oui-mais n’avaient jamais raison, le temps des poings serrés sur l’envie de lutter, des tulipes de mai qui n’ont qu’une couleur, des roses rouge sang qui rateront
l’été.
Les mots sont contagieux comme le mal d’amour
Lucioles vagabondes au vent de liberté
Bruits d’ailes insurgées maudissant les volières
Choucas de bon augure
perchés sur leurs cris rauques
Hiboux de compagnie planant dans l’heure grise
Chiens de nécessité lorsque la vie piétine
Et puis un matin
Le craquement hirsute de la mort
Un jour d’insupportable Marseillaise.
Là-bas
Dans une île d’outre-monde
Emmitouflée de brume.
Le soleil y bavarde
Les cyprès montent la garde
Là, l’ombre est douceur de vivre
Dans la paix de colère accomplie.