C’est ainsi que les hommes meurent

Film en continu. Arrêt sur image.

Hier.

Jours de forêts orange.

Surgie de la fumée, échappée de l’enfer.

Une fillette hurlante et désarticulée

Terreur à l’état brut, acmé de la douleur.

 

Laissez aller le film.

Aujourd’hui.

Nuages de fumée au loin sur les collines,

Sur le Levant lointain des mille et une morts.

Pas de message, mais l’agonie des villes.

Encore des enfants.

Pieds nus sur des chemins de poussière

Ils n’ont pas de vanité

Pieds nus sur des chemins de guerre

Ils n’ont pas d’orgueil de foi

Pieds nus sur des chemins de terre

Ils ont désir de vivre,

Enfants partout les mêmes.

La couleur du chemin change

Les mêmes femmes fracassées, usées de colère,

Elles fouillent les pierres.

On a du mal à croire

Qu’il y avait de la vie dans les maisons d’avant.

 

Laissez aller le film.

Les kalachnikovs hachent l’air et la chair.

Les images se suivent, le film se déroule.

Ce ne sont pas les mêmes villes

Ce ne sont pas les mêmes places

Les mêmes rues, les mêmes maisons

Mais c’est un air de déjà vu,

Des hommes de rage

Un fleuve de foule un seul cri la même haine.

 

Laissez aller le film.

Ce ne sont pas les mêmes drapeaux ni les mêmes couleurs,

Sauf les éclaboussures.

Rouges.

Ce ne sont pas les mêmes hommes

Couchés sous les drapeaux

Pas les mêmes chemises,

Sauf les taches.

Rouges.

Les tubes d’acier crachent leurs fruits de mort

Pas les mêmes villes ni les mêmes maisons

Mais les mêmes échardes de murs mêmes gravats

Mêmes trous dans les façades

Et derrière, la mort masquée, invisible,

Les victimes n’ont pas de pays

Mêmes cadavres sous le soleil plombant.

Le même sable.

Rouge.

 

Laissez aller le film.

Les kalachnikovs crachent l’acier

Des enfants pieds nus sur les chemins de guerre

Une danse de mort rythmée par les sirènes

Ils n’ont plus de désir sous l’écran de fumée

Ils n’ont rien obtenu, étouffés de silence

Les voies de l’innocence se couvrent de cortèges

Ils n’ont plus rien

Ni l’honneur de la mort ni la joie de la vie

Nourris de faux espoirs et morts de vrais mensonges

Ce sont les mêmes enfants

Portés à bout de bras

Exhibés jusqu’au ciel une offrande barbare

Mais Dieu n’est pas coupable

Ce sont les mêmes pantins cassés

Les mêmes mères absentes.

 

Laissez aller le film.

Dans le grand brûlement des villes et des rues

Les voitures tueuses le bûcher des batailles

Jamais les mêmes causes mais mêmes conséquences

Le grand démembrement

Les jambes arrachées et les bras saccagés

Sur la roue des passions sur la roue des supplices

Le grand aveuglement

L’horrible choix des heures des occasions propices

Allez tuez les tous, qui les reconnaitra ?

Allez mourez heureux si les vierges attendent

Allez mourez heureux le paradis s’entrouvre.

 

Laissez aller le film.

Les kalachnikovs crèvent la vie

Les morts sous la terre stérile

Ont-ils encore présente la conscience rampante

De l’innocence saignée à blanc

Dans cette rue de sable ?

De cette brume étrange

Qui monte à la cheville et qui monte à la taille

Et puis qu’on ne voit plus.

Mais on s’entend tousser

Si loin dans le silence.

Blanc.

 

Laissez aller le film.

Plus loin vers le Sud.

Ils sont là sur le sable

La vie tient à un fil la vie tient à la fuite

Même avec les mains vides

Ils sont là sur le sable, épaves près des épaves

Il faut bien les décrire

Réfugiés sans refuge en espoir d’espérance

Il faut bien la décrire cette longue marche aveugle

Ce désespoir de nuit sur des bateaux maudits

Et ces bruits de moteur hoquetant dans le noir

Ces couples qui s’étreignent ces enfants du silence

L’avenir dont ils rêvent, même s’ils n’osent pas trop,

Dissout leurs souvenirs

Souvenirs de village de bonheur et de chants

De famine et surtout d’impuissance de vivre.

Et si ces souvenirs mouraient dans le voyage

Une mémoire morte et aucun avenir

Une heure est un sursis

Mais cette heure est trop longue.

Il faut alors décrire

Les cadavres flottants au large des îles blanches.

Ils ne sauront jamais quel fut le dernier bruit.

Le crissement d’une fermeture.

Eclair.

Silence.

Et deux pas de côté.

Même bruit. Même silence.

Blanc.

Des centaines de fois.

 

Laissez aller le film.

Il faut alors décrire les iliens les iliennes

Tous ces gens de la mer

Le cœur au bout des bras

Le cœur au bord des lèvres

La colère de ne rien pouvoir.

Et puis un peu plus tard.

Un peu plus tard.

L’île aux trois cents cercueils.

Le silencieux cortège des fausses compassions

Arborant ses cravates.

Noires.

 

Revenez en arrière.

Souvenirs épars.

D’un temps où les bassins de marbre

Bruissaient de l’eau courante et du rire des jeux

De saisons et de fleurs, de beaux nénuphars blancs,

De palmiers verts, d’ombre douce des treilles,

De sages qui savaient raconter des histoires.

 

Arrêtez le film.

Pourquoi vivent les morts ?

Pourquoi meurent les vivants ?

 

Les kalachnikovs ne veulent pas se taire.

 

 

10 Octobre 2013

 

 

 

 

 

Commentaires

29.04 | 19:58

https://www.youtube.com/watch?v=VE5svVTDuMU

15.05 | 10:49

Merci pour cet hommage à nos disparus . Le bigouden est têtu et l'injustice le révolte.C'est pourquoi nous continuons notre combat pour la vérité.