Tout le monde sait qu’en Bretagne vivent, très bien cachés, des korrigans, petits êtres facétieux mais sans méchanceté aucune, ce qui ne les empêche pas de connaître parfois des moments difficiles.
Je vais vous décrire une de ces communautés paisibles, vous raconter son histoire et le drame qui l’a frappée.
La loi m’autorise à ne pas citer mes sources.
Ils s’étaient
installés au fond d’un vallon profond, au bas d’une colline. Ce vallon était traversé par un joli ruisseau d’eau claire qui leur facilitait grandement la vie.
L’ordre dans le village était assuré
par le korrigan de Fer qui était juste mais sévère (dura lex sed lex en ancien korrigan) et dont le zèle était souvent tempéré par son ami de toujours, le korrigan de Velours.
La petite
communauté vivait de culture et d’élevage. On y trouvait nombre de korrigans Graines qui étaient jardiniers et vendaient leurs produits sur le marché.
D’autres, les korrigans de Laine élevaient
des moutons et en tiraient de substantiels bénéfices d’autant plus qu’il faisait souvent froid dans le vallon ombré.
Mais les plus riches étaient les korrigans d’Agneau qui fournissaient tout le
monde en viande.
Les korrigans de Chevreau avaient essayé de s’implanter mais les cornes constituaient un danger permanent pour les habitants.
Quant aux korrigans de Soie, ils s’adonnaient à la confection
de tenues d’apparat très prisées par les coquettes korriganes.
Il y avait par ailleurs quelques figures marquantes et quelque peu originales.
Le korrigan Nymède qui tenait le bar du village mais qui disparut,
enlevé par un hardi rapace qui, semble-t-il, le séquestra dans son nid.
On y trouvait aussi le korrigan Beurre Frais qui passait ses journées à traquer les korriganes pour leur déclarer sa flamme et les demander
en mariage. En cas d’échec (fréquent) il organisait les mariages des autres.
Il était très ami avec le korrigan Din qui dépensait sa fortune en vêtements de luxe et était toujours tiré
à deux épingles. Il était trop petit pour avoir la place d’en mettre quatre.
Celui que le korrigan de Fer avait le plus à l’œil était le korrigan Ster qui ne quittait pas la banque
des yeux et était toujours suivi comme son ombre par le korrigan de Boxe.
En cas de maladie, rares au vu de la vie saine que ces petites créatures menaient, on avait recours au korrigan Glionnaire qui vous remettait rapidement
sur pied aidé bien sûr par la korrigane Esthesie.
Il ne faudrait surtout pas croire que cette petite communauté vivait repliée sur elle-même. Elle acceptait de bon gré les étrangers au grand dam
du korrigan de Fer sans arrêt sur le qui-vive.
Vivaient dans le village :
- Le korrigan Dourah qui était très bronzé et qui se mettait à genoux deux ou trois fois par jour, ce qui ne
l’empêchait pas d’être parfois désorienté
- Le korriGand belge qui contrairement à ce que l’on pourrait penser était natif de Bruges
- Le korrigan d’Espagne qui
était grand comme trois glands côte à côte et qui ne gênait personne puisqu’on ne le voyait pas
- Le korrigan de Suède qui avait voyagé en Europe du Nord et qui dormait toute la journée
car il passait sa nuit à guetter les menhirs, persuadé qu’il était qu’une belle sirène toute nue viendrait s’asseoir dessus
N’oublions pas le korrigan Gue qui ne cessait de tamiser
les cailloux de la rivière pour y trouver de l’or, sans succès, sinon les Bretons seraient riches.
J’allais en oublier certains, sans eux ma description serait tronquée.
Par exemple, celui qui n’était
pas à proprement parler un étranger car il venait d’une région proche de la Galice, pays compris dans nos programmes d’annexion, qu’on nommait le korrigan de Peau (parfois orthographié PAU) et qui s’était
mis en tête de devenir le chef du village. Il habitait sur la place centrale. Il passait son temps à dire que les korrigans de la rue de droite menaient le village à sa perte, ce qui ne l’empêchait pas de copiner avec eux et
d’affirmer que les korrigans de la rue de gauche étaient peut-être un peu plus fréquentables tout en se contentant de les saluer sans engager la conversation. Si bien qu’il n’était jamais élu.
Un des
membres qui recueillait l’adhésion de (presque) tous était le korrigan Dhi toujours suivi de son porteur d’eau le korrigan Ge. Le korrigan Dhi parcourait les rues du village en disant à tout le monde
qu’il ne fallait pas se taper dessus, ce qui lui valait l’estime du korrigan de Fer et du korrigan de Velours qui pouvaient faire la sieste en attendant.
N’oublions pas la korrigan Tière qui fabriquait
des moufles et des mitaines, sans que personne ne s’en offusque. Bel exemple de tolérance.
L’un de ceux qui énervait le plus ses concitoyens était le korrigan Reviendras-tu. Il n’arrêtait pas de
chanter toujours la même chose mais heureusement, il partait souvent en voyage.
Sur la place centrale se trouvait la boutique du korrigan Fourré, spécialisé en anoraks (et maillots de bain ? on n’a jamais
su pourquoi), celle du korrigan de Crin qui tenait un petit centre de beauté sur le bord de la rivière non loin des douches villageoises tenues par le korrigan de Toilette qui avait un franc succès.
Par contre
le korrigan Telet n’avait pas les faveurs des villageois. Il cherchait querelle à tout le monde et ne cessait de le jeter à la figure de ses collègues. Bien sûr personne ne le relevait et il finit par avoir un lumbago
permanent.
Nous y ajouterons :
- Le korrigan de Lait qui possédait trois petites vaches noires et blanches. Il en faisait tout un fromage et il avait une curieuse manie, il passait toutes ses nuits à mettre des
pièces sous les oreillers des enfants.
- Le korrigan Blond avec sa chaussure noire qui agaçait tout le monde à force de faire son cinéma.
Il n’y avait bien sûr aucun racisme au sein de cette
communauté :
- le korrigan Blanc était le maître des cérémonies frivoles.
- Le korrigan Noir se chargeait des choses plus sérieuses
Aucune jalousie non plus :
tous acceptaient sans problème que le korrigan Bettes gagne toutes les courses à pied.
Quant à l’entretien des bâtiments publics, il était assuré par un korrigan brésilien, un noble qui
avait connu des jours meilleurs, le korrigan De Latex y Cahout-Chou, assisté par un italien, le korrigan Mapa (sis paires + une gratuite).
En cas de besoin (espaces verts, chemins) le korrigan Tonnier travaillait de
conserve avec eux.
Mais hélas ! Le drame survint un jour d’hiver quand le korrigan de Ski qui habitait une petite cabane en bois construite dans les rochers au sommet de la colline, sortit de chez lui et dérapa.
Les rochers se détachèrent et dévalèrent la pente détruisant tout sur leur passage. Le village fut détruit.
Il n’y eut pas de victime mais quelques contusions que le korrigan Glionnaire et la
korrigane Esthesie s’empressèrent de soigner.
Le problème était que les korrigans n’étaient pas riches et n’avaient pas les moyens de reconstruire le village.
La bonne nouvelle vient d’une
korriGANe qui avait un poste haut placé dans les assurances et qui leur proposa, moyennant une modique somme individuelle, de faire passer l’accident en catastrophe naturelle.
La solution leur allait comme un gant, tout le monde
accepta et la vie reprit comme avant.
Et comme avec le réchauffement climatique, il n’y eut plus de neige sur les rochers, le korrigan de Ski ne dérapa plus.
Ainsi la vie des korrigans continua son cours paisible.
Surtout ne les cherchez pas, ils sont invisibles au commun des mortels. On ne sait qu’une chose : le village semblerait se situer dans un endroit qui s’appelle le Bois d’en Haut mais aucun Breton ne saura dire où cela peut bien
se trouver.