Ils sont sortis heureux
Dans un Paris d’automne à la douceur clémente
Ils sont morts sans comprendre
Dans une nuit d’horreur et le fracas des balles.
Automne couleur de sang.
Il
a soufflé très fort le vent d’apocalypse
Il a porté très loin le bruit sec des rafales,
Le bruit mat des explosions.
Il a porté très loin les échos des sirènes. L’annonce
du massacre.
L’heure bleue a franchi les rives de la nuit
Qui s’est peuplée de gyrophares, de reflets rouges,
De silhouettes blanches tentant de repousser la mort.
Les terrasses résonnaient
de rires
Les musiciens jouaient « Embrasse le diable »
Pour de faux. Mais trop tard.
Les djinns enfants du feu ont tué les innocents
Pour de vrai. Avec méthode.
Des robots-tueurs aux gestes
programmés. Un logiciel de terreur et de glace.
Un attentat. L’innommable. Et les images qu’on refuse qui forcent le passage
On ne décrit pas l’indicible. Mais se taire serait acceptation. Fatalisme.
Alors…
Serrer les poings pour éloigner l’impuissance, faire nôtres les détresses,
Partager la douleur, souffrir et pleurer ensemble.
Fuir les mots usés qui ne sont que des miroirs sans tain
Ne pas écouter
ceux qui veulent orienter notre colère. Surtout s’ils sont parmi nous
Et qu’ils ont des intentions dangereuses pour la République.
Ne pas laisser les barbelés s’installer dans nos têtes et nos cœurs.
Ce pays est un pays de liberté.
Ceux qui l’ont défendu dans un passé, proche ou plus lointain,
Gardent au fond des yeux et au profond de la mémoire les barbelés d’un autre âge.
Ils seront de moins en moins nombreux mais nous existons grâce à eux.
Ces femmes et ces hommes étaient de toutes obédiences,
De toutes couleurs d’étoiles, de toutes religions.
Pas une ne promet
le paradis aux machines à tuer.
Aux spectres cagoulés, aux damnés sans entrailles.
Cette nuit ne finit pas, elle déteint sur l’aube
Le lendemain garde sa couleur, le temps fait un pas de côté
On dirait qu’il hésite. Une aube qui bégaie.
Un lendemain matin de douleur frissonnante, de meurtres advenus,
De vie à venir, d’avenir à réparer, d’irréparable à
recoudre.
Un lendemain matin aux larmes désarmées, à l’haleine de poudre,
A l’odeur d’acier, au gout de limaille
Des heures en suspens, peuplées de somnambules désorientés. Abasourdis.
Le silence du désarroi qui fait avancer sur la pointe des heures.
Un avenir brouillé par le flou de la mort.
Mais lentement les fleurs, les messages, les dessins remplacent les rubalises
Des offrandes de refus. Un silence
de résistance aux mâchoires serrées
Un jour de survivants. Incrédules. Au bord du vide.
Qui tentent de rester debout, de marcher.
Un jour de funambules aux cœurs désaccordés.
Deux jours
avant, le 11 novembre, on avait commémoré l’armistice de 1918.
Hommage aux morts. Une paix reconquise. Un bel automne d’après-guerre.
Le 13 novembre la barbarie était de retour. Egale à elle-même
Les armes ne veulent pas se taire. D’autres morts.
Ceux qui sont tombés ne sont pas loin, leurs ombres nous rassemblent
Ne fermons pas nos rêves ils nous y rejoindrons.
Retrouvons les mots qui n’acceptent ni
la nuit, ni la défaite.
Trois mots de pierre et de lumière. Les bougies de silence, les dessins de douleur,
Les bouquets de partage sont là pour nous les rappeler.
Puisse le prochain automne être
couleur de feuilles.
Un bel automne d’après-guerre.